Visite du Frenchie à un Bar décadent ...

C’est sans réel enthousiasme que Jean philippe suivait Youri et Natasha à travers les rues de la ville.
Le couple d’étudiant semblait avoir décidé de prendre sous leur aile protectrice le petit Français qui venait de débarquer à l’Université …
Jean Philippe qui partageait une chambre d’étudiant avec Youri n’appréciait pas le couple qui depuis qu’il avait fait leur connaissance semblait décidé à montrer au Frenchie qu’en URSS comme à l’Ouest, il pouvait y avoir des dissidents ou tout au moins des gens qui se foutaient royalement des autorités en place et ne cherchaient qu’à foutre le bordel dans la société qu’on avait jugé bon de leur imposer.
S’il les avait rencontrés à l’Ouest, il en aurait pris son parti d’autant que le couple semblait porté sur la bonne vie, la boisson et les soirées avec des copains.
Le problème c’est qu’il était venu en URSS avec sa carte du PC, son profil de bon communiste convaincu et qu’il ne tenait nullement à passer pour un capitaliste décadent …
Alors il avait déjà décliné la proposition de Youri de fumer des pétard et de se livrer à des tests comparatifs sur leurs virilités respectives en compagnie d’une Natasha qui semblait atteinte de la même fièvre libératrice qui pervertissait en ce moment même un Occident qui ne manquerait pas de rejoindre tôt ou tard le bloc de l’Est si les hommes de l’ombre comme lui ne faisaient pas bien leur part de boulot ...
Le véritable ennui dans tout ça, c’est qu’il perdait un temps fou à de débattre pour comprendre ce qu’ils avaient en tête puis perdait un temps non moins précieux à échapper aux délires plus ou moins glauques dans lequel le couple tentait de l’entraîner.
En plus de ça, ils risquaient de compromettre sa mission en le faisant passer pour un Occidental corrompu, et décadent, une vipère lubrique capitaliste qu’on renverrait vite fait à l’Ouest s’il se faisait chopper.
Et ce n’était que parce que ces deux là étaient respectivement fils et fille d’apparatchiks sans doute assez haut placés pour pouvoir se permettre beaucoup de choses et qui sait peut être pour lui apporter plus tard quelques renseignements qu’il tentait de ménager la chèvre et le chou en se compromettant avec eux tout en essayant de garder autant que possible une attitude aussi digne que si on l’avait convié à un défilé militaire.
Il avala une longue gorgée de la bouteille de Vodka que Youri venait de lui tendre et suivit le couple sous un porche noirci et qui ne payait pas de mine jusqu’à une massive porte en bois qui s’ouvrit pour leur livrer passage …
Il aperçut un panneau portant une inscription en cyrillique qu’il fut bien incapable de lire … un courant d’air chaud chargé de relents de parfum et de tabac et ils étaient à l’intérieur avant qu’il ait eu le temps de réaliser qu’ils l’avaient entraîné une fois de plus dans un de leurs plans galère …

Jean Philippe tourna la tête en direction de la voix chaude et sensuelle qui venait de poser une question qui de toute évidence ne pouvait être destinée qu’à lui …
Il devait en effet être le seul type présent à avoir esquissé une grimace ennuyée lorsqu’il avait réalisé où il atterrissait, et aucune autre des personnes présentes dans ce bar n’avait l’air de s’ennuyer au Simian, en fait les filles y étaient superbes, la déco très sympa et la musique correcte.

Ouaoooooowwwww !!!! Il réalisa soudain qu’il avait en face de lui le fantasme de tous les Occidentaux moyens, la vraie beauté de l’Est comme on la rêve, la blonde qui venait du froid et avec laquelle on faisait l’amour sur une peau d’ours sur la banquise, la copie de Miss Siberie 1970 qu’aurait trouvé au goulag de quoi se peigner et se maquiller, ….
Euh, il préféra stopper là la liste des comparaisons, et la lueur fugace d’interet qui était apparu dans ses yeux disparut pour faire place à un regard bien plus neutre, bien plus distant. Professionnel quoi.

Il lui adressa quand même un petit sourire en esquissant une moue et prit un air mi gêné mi amusé pour lui confier :

« Euh, en effet, je ne m’attendais pas à trouver « ça » ici.
C’est un peu comme si on ouvrait une bourse à Moscou …
C’est pas que j’aime pas ce genre d’endroit, juste que j’aurai préféré qu’ils m’emmenent visiter autre chose …. »

Il cherchait un peu ses mots et son Anglais était tout sauf bon, affreux même vu qu’il ne faisait et n’avait jamais fait le moindre effort pour corriger son accent.
We are in France, we speak French … C’était sa devise (à lui aussi).

Tout en parlant, il se demandait à qui il avait affaire, une entraineuse du bar, une prostituée, une fille d’apparatchik, une guide de l’office du tourisme ?
Dans tous les cas, elle parlait Anglais, et elle trainait là ou aucune communiste bon teint n’aurait du se trouver … donc elle devait avoir un minimum de rapport avec le KGB.
Une indic ? ou une régulière ?
Ca n’avait pas vraiment d’importance, dans le fonds, il s’en moquait, l’important c’était qu’elle constituerait un alibi très convenable, si on l’interrogeait sur sa présence ici, elle pourrait dire que Jean Philippe n’était pas vraiment fautif sur ce coup là …
Ca lui convenait parfaitement …

Il décida de l'inviter à prendre un verre, enfin, surement qu'il faudrait que ce soit elle qui passe commande, mais il se lança en Russe, répétant à son attention l'une des rares phrases qu'il avait apprise de Youri, et dont il ignorait qu'elle ne signifiait pas exactement ce qu'il croyait. En gros, ça donnait :

« Je t’offre un verre de glycol à boire sur la tête d’un nain du Caucase, camarade ouvrier peigné comme ours mal leché ?? »

C'était la première fois qu'il la plaçait, et il était presque sur qu'il l'avait prononcée correctement. Sur ce soup là, il en fut presque fier de lui.

Le regard que lui jeta l’étranger ne lui échappa pas un instant bien qu’il ait vite reporté son regard sur la décoration du bar pensant ne pas s’être fait repérer. Qui mieux qu’elle pouvait repérer les moindres regards que les hommes lui lançaient et les interpréter.

Il lui proposa de lui offrir un verre ce qu’elle accepta volontiers malgré l’anglais des plus basic du jeune homme. Puis il se risqua à commander à boire et utilisa une phrase qu’il semblait avoir appris par cœur et semblait tellement fière de l’avoir placé. Mina ne put retenir un éclat de rire en voyant le regard meurtrier que le patron et barman lançait à celui qui venait de plus ou moins l’insulté. Elle s’empressa de rajouter quelque chose qui calma rapidement le patron et celui-ci posa deux vodka devant Mina et l’étranger.

Voyant la tête qu’il faisait elle posa doucement sa main sur son épaule et avec un large sourire elle lui fit une petite mise en garde.

"A votre place je ne me risquerais plus à dire des phrases sans savoir ce qu’elles veulent dire."

Il ne répondit rien sur le moment mais il avait bien compris que son ami s’était clairement amusé à lui apprendre des phrases types en lui faisant en réalité apprendre des phrases tout autre. Elle prit son verre et le tendit vers celui du jeune homme l'entrechoquant dans un tintement cristallin.

"Na zdrovie"

Elle but une gorgée de sa vodka puis la reposa sur le bar, détaillant discrètement le jeune homme assis à côté d'elle. Il n'y avait pas à dire, Mina aimait les hommes de son pays et deux homme plus particulièrement mais il était évident que la charme exotique que dégageait ce nouveau visiteur lui plaisait beaucoup. Elle surprit un regard chez le jeune homme qui semblait ne pas vraiment savoir à qui il s'adressait. Il ne connaissait pas le pays, encore moi l'endroit où il se trouvait il ne pouvait pas deviner qu'il avait une certaine chance de s'adresser à la belle que tant d'hommes rêvaient d'approcher un jour ou l'autre.

"Alors d'où vient tu étranger ? De l'Ouest ça c'est certain, et pas d'Angleterre ni de la lointaine Amérique… "

Il éclata de rire, elle n’avait pas traduit ce qu’il avait dit, et sans doute c’était mieux comme ça ...
Bon cet abruti de Youri lui avait tendu un piège, il était tombé dedans et mieux valait prendre ça avec humour….
Il se demanda aussi ce que Youri avait bien pu lui souffler d’autre et si elle n’avait pas raison de lui conseiller la prudence concernant ses phrases toutes faites ...

Il y en avait une notamment qui sonnait bien à son oreille mais dont la prose lui semblait trop ampoulée et dont Youri lui avait affirmé qu’elle disait :
« Je n’ai jamais rencontré Beauté plus radieuse que la tienne. Et ce, bien qu’en cosaque, j’ai chevauché le vent du Caucase à l’Oural, sans jamais trouver ton égale … »

Il décida qu’il lui faudrait un jour demander à quelqu’un ce qu’elle signifiait vraiment mais ça n’avait rien d’urgent, alors il se contenta de lui retourner le toast qu’elle venait de porter : « Nah ZdAhroviAis »
Buvant sa Vodka cul sec, il faillit balancer le verre par-dessus son épaule …
Mais comme elle ne l’avait pas fait, il préféra lui aussi reposer le verre sur le bar.

Ce faisant, il enfreignait pour la première fois l’une des consignes de la DGSE qui voulait qu’aux Etats-Unis pour faire Américain, il fallait mâcher du chewing gum, et qu’en URSS, on devait boire son verre d’un trait puis le Kasser … !

Raaah la vache, ça dégageait grave comme antigel ! Bon comme il commençait à chopper l’habitude à force d’accompagner Youri dans ses libations quotidiennes, il parvint à faire illusion sur le fait qu’il buvait ça comme du petit lait. D’autant que dans son parcours de militant pour la cause écolo à une époque pas si lointaine, il lui avait fallu sympathiser avec des agriculteurs qui tenaient en haute estime la production locale de spiritueux, alors le Calva, l’Armagnac, le Cognac … il avait un peu tout connu au cours de son parcours, et si ça continuait comme ça, il faudrait sûrement qu’il demande un jour à l’état Français de lui offrir un foie tout neuf …

Tiens, elle venait de lui poser une question sur ses origines, ça lui fit plaisir. Personne n’avait jamais réussi à le confondre avec une de ces pédoques d’Anglais ni avec un de ces débiles de Ricains, n’empêche que c’était la première fois qu’on ne le ciblait pas direct comme étant Français alors qu’il parlait en Anglais, de là à en conclure que ça prouvait qu’il s’améliorait en Anglais …
Non il rejeta cette hypothèse comme invraisemblable ...
Son regard errait encore sur la clientèle du bar autour d’eux, sur les filles qui se trémoussaient lorsqu’il lui répondit avec un sourire :

« En effet, sûrement pas Anglais et encore moins Américain … Je suis Français ...
Mais j’oubliais de me présenter Jean Philippe Roache, actuellement en stage à l’Université de Saint Petersbourg … »

Il inclina légèrement la tête pour la saluer, le baise main, ça aurait fait vieille France, et tendre la main à une quasi inconnue, qu'on rencontrait dans un bar, ça ne lui semblait pas pleinement honnête …

Apparemment, au vu du regard que l'étranger jeta à son ami à l'autre bout de la salle, Mina en conclu qu'il n'était pas des plus ravis de la petite humiliation dont il venait d'etre la victime. Et encore, Mina avait de l'humour et avait réussi à dire à son patron que le pauvre homme s'était fait avoir. Et comme toujours, puisque c'était Mina, le patron passa l'éponge et les servit sans en tenir rigueur au nouveau venu.

Il leva son verre à son tour, répétant la phrase de la belle en prononçant cela d'une manière des plus… convaincante, tenant de se rattraper après l'échec qu'avait causer sa première phrase en russe. Il avala son verre cul sec, tandis que Mina le vida en quelques gorgées. Elle sourit le voyant hésiter avant de reposer son verre sur le comptoir.

"Vous vous attendiez à me voir lancer le verre par-dessus mon épaule à l'autre bout de la table et que tout le monde se mette à danser c'est cela ? Désolée de vous dire que cela n'arrive que très rarement et c'est plus les touristes qui le font, ce qui nous fait bien rire et eux un peu moins quand ils comprennent que les clichés sont parfois trompeurs."

Elle ne dit rien, ne fit aucune remarque en voyant la petite grimace qu'il fit en avalant le liquide qui lui brûla la gorge. Il avait déjà eu sa dose de commentaire avec sa tentative de parler local …

Il y eu un petit éclaire de fierté dans les yeux du jeune homme lorsqu'elle lui dit qu'elle ne pensait pas qu'il vienne d'Angleterre ni d'Amérique. Ce n'était pas forcément un compliment sur sa maîtrise de la langue de Shakespeare, mais s'il le prenait comme cela tant mieux. Mina avait connus des anglophones et jamais elle n'avait imaginé qu'on puisse parler et se faire comprendre avec un tel accent. Cependant elle n'avait pas réussi à reconnaître l'accent de l'homme. Il était de l'Ouest ça ne faisait pas de doute mais de quel pays elle n'était pas trop sure d'elle.

Il lui répondit qu'il était français et se présenta avec un nom que la jeune femme eut du mal à retenir, elle s'attarda sur ce qui semblait être son nom de famille plus simple que son prénom. Il lui dit également être en stage à l'université de St Petersourg. Qu'est ce qu'un français pouvait venir faire en Russie, surtout en hiver.

Et bien monsieur Roache, si ce n'est pas pour des études, je n'aurais pas compris quelles pourraient être les raisons de votre venu chez nous, surtout à cette saison.

Beaucoup plus naturellement que lui elle tendit sa main vers Jeanfi quand elle se présenta à son tour.

"Mina….Sytchev pas étudiante pour ma part. et je pratique ici au Simian le plus vieux métier du monde, si l'on veut parler de manière polie…"

Elle eut un petit sourire en voyant la réaction de son interlocuteur qui, semble t il venait d'avoir une réponse à l'une de ses questions quand aux occupations de la jeune femme.